Société des enseignants
BULLETIN No 24 / Astronomie |
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L'expansion de l'espace en cosmologie relativiste
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1. Une expérience virtuelle
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Fig. 1. Univers
bi-dimensionnel à la surface d'une sphère. Localement
cet Univers semble être plat; mais bien qu'il n'ait pas
de frontières, son extension est finie. Pour cet Univers
l'expansion correspond à une augmentation du rayon
de courbure R(t). La croissance de R(t) n'est pas limitée
par la vitesse de la lumière, car il s'agit d'une expansion
de l'espace lui-même. Cette expansion implique pourtant
un éloignement réciproque de toutes les galaxies,
ces galaxies étant toutes sur la surface de la sphère;
mais des objets de petites dimensions, jusqu'à la taille
de galaxies (!), ne sont pas déformés par
l'expansion : c'est la loi de Hubble . On vérifie
que pour le triangle délimité par l'équateur
et les deux méridiens, la somme |
A une époque donnée ils constatent que cette somme
des angles de tous les triangles qu'ils étudient est toujours
égale à
plus une partie proportionnelle à l'aire A du triangle,
soit :
![]() |
(1)
|
Cela confirme la sphéricité de leur Univers
et les pousse à la conclusion que la constante de proportionnalité
devrait être choisie
égale à 1/R2 , où ce choix de
R représente le rayon de leur Univers sphérique.
Des études poussées de leur passé leur montrent,
toutefois, que si cette loi doit rester valable à toutes les
époques, ils sont obligés d'admettre que le rayon de leur
Univers est en expansion très rapide, si rapide, en fait, que
la vitesse d'expansion de R(t) peut dépasser celle
de la lumière, c.-à-d. que
peut être plus grand que c !
Comme spectateurs extérieurs nous pouvons faire quelques observations intéressantes :
1) Sur la sphère la position des objets peut être spécifiée
par des coordonnées angulaires. Un objet sera considéré
comme stationnaire si, malgré l'expansion du rayon R,
ses coordonnées angulaires
sont fixes; mais cette stationnarité ne pourra être définie
que par rapport à un rayonnement fossile (la réalité
de la radiation fossile, sera expliquée au §2). L'expansion
de l'espace ne déforme pourtant pas les objets de dimension restreintes,
ceci jusqu'à la taille de galaxies. Dans le champ de ces objets
restreints on peut choisir des coordonnées euclidiennes locales,
par rapport auxquelles un point particulier pourra être stationnaire
ou en mouvement relatif, stationnarité et mouvement qui n'auront
cependant rien d'absolus. Dans ces coordonnées locales les lois
connues de la physique resteront en général valables.
2) A cause de l'expansion R(t) du rayon de l'Univers,
deux galaxies de coordonnées angulaires
fixes paraîtront se séparer avec une vitesse proportionnelle
à leur séparation. Cela sera confirmé par les mesures
de décalage spectral (ou de "redshift") et correspond
à la loi de Hubble .
3) Dans ce "Gedankenexperiment" on admet que tout rayon de lumière émit tangentiellement à la sphère se propage en restant sur la sphère. Cela implique que la masse est répartie en respectant une parfaite symétrie sphérique, qu'elle soit distribuée dans tout l'espace ou concentrée en une mince couche juste sous la surface de la sphère. Mais la densité moyenne à l'intérieur de la sphère doit être égale à une densité bien définie, l'équivalent d'une densité critique .
4) L'expansion généralisée de la sphère,
décrite par la fonction R(t) de la Fig. 1, peut
être considérée comme un changement du rayon
de courbure de l'Univers . C'est en cela que la fonction R(t)
se différencie d'un mouvement relatif de deux objets
sur la sphère et c'est aussi la raison pour laquelle cette expansion
n'est pas soumise aux restrictions de la relativité. L'exemple
des triangles permet de bien distinguer l'expansion de l'espace de mouvements
de fuite relatifs. L'expansion de la sphère agrandit tous les
triangles de coordonnées angulaires fixes, mais ne modifie pas
la somme de leurs angles
inscrits. Par contre, un triangle qui s'agrandit par l'éloignement
respectif des coordonnées angulaires de ses sommets voit
augmenter. Mais si R(t) devient toujours plus grand, il
sera aussi de plus en plus difficile d'apporter la preuve de la courbure
de l'espace. Dans notre propre Univers nous nous trouvons présentement
dans cette situation.
5) Pour les habitants de la sphère il y a un horizon visible . Puisque l'espace subit une expansion dont la vitesse peut dépasser celle de la lumière, le nombre de galaxies accessibles dans l'horizon visible des habitants de la sphère devra diminuer : sur cet horizon des galaxies disparaîtront progressivement de la vue des habitants de la sphère. Ce phénomène se réalise aussi pour nous dans notre Univers réel.
6) Les habitants de la sphère ont donc reconnu que leur perception bi-dimensionnelle d'un espace qui semble être euclidien et parfaitement plat est une conséquence de leur petitesse et de leur minceur. Ils savent que l'espace est effectivement tridimensionnel et que sa courbure peut, en principe du moins, être déterminée par l'étude des propriétés de grands triangles. Ayant trouvé que ces triangles satisfont la propriété donnée par la relation (1) les a fait admettre que cet espace est sphérique. Mais ils auraient pu trouver une relation un peu plus compliquée, par exemple une relation de la forme
![]() |
(2)
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ou encore :
![]() |
(3)
|
Nous admettons ici que et
sont des fonctions toujours
positive ( > 0) des coordonnées angulaires
i des trois sommets des triangles étudiés.
Alors que la relation (1) trahissait un espace parfaitement sphérique
, une relation de la forme plus générale (2) signifie
seulement que l'espace est fermé ou elliptique
(en tout point il peut être décrit approximativement
par un ellipsoïde, mais en général tout nouveau point
nécessite un ellipsoïde différent). Si la relation
prend la forme (3), alors l'espace sera ouverts ou hyperbolique
(ici encore l'hyperboloïde d'approximation pourra être différent
en chaque point). Au contraire d'un espace qui est partout elliptique,
dont l'extension est nécessairement finie comme celle d'une sphère,
un espace de structure partout hyperbolique est forcément d'extension
infinie. Cela est aussi vrai pour un espace parfaitement plat en tout
point.
7) Dans un espace en expansion le rayon de courbure R(t) s'agrandit. Cela est facile à concevoir pour les espace courbes. Dans un espace plat R(t) serait infini, mais pour décrire l'expansion on le remplace alors par une très grande dimension, comme la distance entre deux galaxies très éloignées l'une de l'autre afin de se soustraire à leur interaction gravitationnelle réciproque. En un endroit donné de l'univers de notre "Gedankenexperiment" la fonction R(t) ne dépend que du temps t et on pourra considérer que cette coordonnée est une sorte d'axe du temps. Pour les habitants de l'Univers fictif que nous avons créé il devient alors plausible de considérer que leur Univers est tridimensionnel et que deux de ses coordonnées sont de caractère spatial, alors que la troisième est de caractère temporel. Mais la distinction n'est pas vraiment absolue, puisque dans leur espace la fuite réciproque de toutes les galaxies apparaît comme un mouvement spatial, alors qu'il s'agit d'une croissance du rayon de courbure R(t) , qui représente en fait l'écoulement du temps.
8) Dans l'Univers fictif du "Gedankenexperiment" l'expansion pourra, soit se poursuivre indéfiniment, soit s'arrêter et finalement se transformer en une contraction. Dans la seconde alternative l'aboutissement sera un total effondrement, l'antithèse du "Big Bang", souvent dénommé "Big Crunch". La fonction R(t) ayant été assimilée à l'évolution du temps, la phase d'expansion pourra être comprise comme une évolution positive du temps, alors que la contraction en sera à une évolution négative.
Revenons maintenant à notre Univers réel et essayons de voir comment les propriétés attribuées à l'Univers virtuel de notre "Gedankenexperiment" se manifestent dans la réalité.
La perception habituelle que nous avons de notre environnement est celle d'un espace euclidien à trois dimensions et parfaitement plat; mais l'exemple du "Gedankenexperiment" suggère que cet espace pourrait, en réalité, être une "sous-structure" délimitée dans un espace à quatre dimensions, sous-structure en tout point de laquelle l'espace nous paraît être tridimensionnel. Son rayon de courbure R(t) semble présentement augmenter très rapidement. En vérité, et comme nous le verrons plus bas, il n'est pas correct de dire que le rayon de courbure de notre Univers augmente. En effet, aujourd'hui l'Univers se présente à nous comme s'il était vraiment plat et la grande distance type R(t) a pour seul but de décrire l'expansion de l'espace. Puisque par définition la courbure est l'inverse du rayon de courbure, on dira que la courbure de notre Univers est nulle. Quant à l'expansion de l'espace, des indices récents suggèrent que sa vitesse est en train de s'accélérer. Comment expliquer cela ?
Après avoir formulé les lois de la mécanique et de la gravitation universelle, Newton s'est immédiatement rendu compte que selon ces lois l'Univers ne pouvait que s'effondrer sur lui-même. Pour éviter un tel effondrement Newton postula une force opposée à la gravitation, sensible en tout point de l'Univers. Par un calcul très simple on peut montrer que pour obtenir la stabilité recherchée cette force doit être proportionnelle à la densité moyenne de l'Univers. Ainsi à la surface de la Terre, une masse m ne ressent pas seulement l'attraction gravitationnelle m× g bien connue, soit
![]() |
(4)
|
où G est la constante de la gravitation (6.6726×10-11
m3kg-1s-2), M la masse de la
Terre, r son rayon moyen (6371 km),
sa densité moyenne (5,520 kg/m3), mais encore une
force répulsive proportionnelle à la densité moyenne
de l'Univers, de l'ordre
de 10-26 kg/m3 :
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(5)
|
Mais à la surface de la Terre
est totalement négligeable devant
.
L'Eq. (4) décrit donc parfaitement l'attraction gravifique de
la Terre sur les objets à sa surface et l'Eq. (5) n'y apporte
qu'une amélioration de principe totalement négligeable.
Cette constatation reste valable à la surface des étoiles et même des galaxies, de sorte que le seul effet de cette force additionnelle est d'assurer la stabilité de la structure de l'Univers à grande échelle. C'est précisément ce que recherchait Newton, car il pensait que cette structure devait être statique, ou pour le moins stationnaire.
Dans les systèmes de dimensions restreintes liés à une galaxie, les lois de la physique classique sont valables, pour autant qu'on se limite à des vitesses petites devant celle de la lumière. Ces lois sont encore valables dans les systèmes en translation uniforme par rapport à ceux qui sont liés à la galaxie. Tous ces systèmes forment l'ensemble des systèmes inertiels. Comme ils sont équivalents d'un point de vue classique, on a longtemps cru qu'aucun d'entre eux n'était absolu. Depuis qu'on a découvert l'existence de la radiation fossile à 2.735 °K , on sait qu'il y a un système plus fondamental que les autres; c'est celui qui paraît être au repos par rapport à cette radiation. Dans ce système particulier la radiation fossile est distribuée de la façon la plus uniforme possible : on reçoit la même radiation de toutes les directions. Par contre, si on est en translation uniforme par rapport à elle, la radiation paraîtra déplacée vers des longueurs d'onde plus courtes ou plus longues et paraîtra donc plus chaude ou plus froide, selon qu'on se déplace contre elle ou avec elle.
Comparant les Eq. (4) et (5) on peut écrire la seconde sous une forme un peu différente :
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(6)
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(7)
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est la constante
cosmologique de Newton et l'on retiendra que si
est inférieur à la valeur donnée en (7), l'Univers
finira toujours par imploser, alors que s'il est plus grand l'expansion
non seulement se poursuivra indéfiniment, mais encore elle
sera accélérée ! De plus, si l'Univers
devait se contracter on verrait des galaxies apparaître sur l'horizon
visible. Par contre, dans une phase d'expansion des galaxies disparaîtront
peu à peu sur cet horizon.
Lorsqu'il eut établi les équations de la cosmologie
relativiste, Einstein se trouva devant le même dilemme que Newton.
Ses équations cosmologiques prédisaient un effondrement
de l'Univers. Tout comme Newton, Einstein était persuadé
qu'à grande échelle la structure de l'Univers devait être
stable. Fort heureusement, ses équations permettaient l'introduction
d'une constante cosmologique par laquelle il pouvait obtenir la stabilité
désirée. Il se trouve que cette constante
cosmologique d'Einstein est exactement la même que
celle de Newton, sinon que dans les unités de la cosmologie relativiste
elle est divisée par c2 et exprimée
par le symbole
=
/ c2
.
Lorsque les observations de Hubble montrèrent que l'Univers est issu d'un "Big Bang" initial, à la suite duquel il vole tout naturellement en éclat, Einstein regretta amèrement d'avoir introduit cette constante cosmologique. On peut dire qu'à la suite d'Einstein les cosmologistes ont alors véritablement répudié cette constante. Nous allons pourtant voir que la constante cosmologique revient aujourd'hui sur le devant de la scène.
Au §1 nous avons postulé qu'un rayon de lumière émit parallèlement à la sphère représentant l'Univers virtuel se propagerait uniquement sur cette surface. Cela impliquait, non seulement une répartition de masse sphérique, mais aussi pour l'intérieur de la sphère une densité moyenne bien précise. Pour l'extérieur de la sphère la seule condition à satisfaire était une répartition parfaitement sphérique, sa valeur était sans importance.
Nous devons maintenant atténuer un peu les restrictions que nous venons de formuler. Nous savons, en effet, que dans l'Univers réel la matière n'est pas distribuée de façon parfaitement uniforme. Pour la sphère de notre "Gedankenexperiment" cela signifie qu'à sa surface la matière n'est pas non plus répartie de façon uniforme. Mais là où la densité est plus forte, les rayons de lumière seront déviés davantage et le seront moins où la densité est plus faible. L'ensemble des rayons de lumière ne décrira donc pas une sphère parfaite, mais une sphère à la surface un peu rugueuse ou bosselée, comme une pelure d'orange. L'espace sera courbé davantage où la densité de matière est plus grande. On retrouve exactement le même phénomène dans l'Univers réel : la lumière est plus fortement déviée par les grandes concentrations de matière; cela signifie que la courbure de l'espace y est plus grande. Les lentilles gravitationnelles sont un exemple de cet effet, de même que le premier test de la théorie de la relativité, l'amplitude de la déflexion des rayons lumineux d'étoiles situées au voisinage immédiat du Soleil lors d'éclipses totales.
Notre Univers réel étant une sous-structure d'un espace à quatre dimensions n'exige-t-il pas, lui aussi, une densité particulière ? On a effectivement longtemps été persuadé que l'univers devait avoir une densité critique bien définie. Cette densité critique assurait aussi une expansion continuelle, avec, cependant, une vitesse qui convergeait vers zéro au bout d'un temps infiniment long. Mais les recensements de matière les plus soigneux ne sont jamais parvenus à des valeurs qui dépassent le tiers environ de la densité critique. D'autre part, loin de ralentir, il semble que la vitesse d'expansion s'accélère. Comment faut-il comprendre cela ?
La réponse aux deux énigmes que nous venons de soulever
se trouve dans la constante cosmologique. Cette constante se combine
avec la densité de masse pour assurer un Univers qui, à
première vue, semble être plat. Sa densité n'est
pourtant que de 0,25 à 0,3 fois la densité critique; mais
la constante cosmologique est un peu plus grande que la valeur qui assurerait
un Univers statique. Ainsi notre Univers serait en expansion accélérée
! Mais malgré sa grandeur, on voit par l'Eq. (5) que la constante
cosmologique ne peut avoir qu'une influence totalement négligeable
sur des objets de dimension restreinte, même s'ils sont de la
taille des plus grandes galaxies.
Comme pour l'Univers virtuel de notre "Gedankenexperiment", l'augmentation du rayon de courbure R(t) de notre Univers réel se traduit par la fuite réciproque de toutes les galaxies les unes par rapport aux autres, avec des vitesses v proportionnelles, en première approximation, à la distance d séparant les galaxies. C'est la loi de Hubble :
![]() |
(8)
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La constante de proportionnalité H est appelée "constante de Hubble"; sa dimension est l'inverse d'un temps. Si on exprime v en m/s et d en m , alors le temps tcar = 1/H est une bonne estimation de l'âge de l'Univers exprimé en secondes. En général on donne H en km/sMpc, où le Mpc (Mégaparsec) vaut 3.216 millions d'années-lumière. Après des années de controverses on s'accorde aujourd'hui sur une valeur de H = 75 ± 7 km/sMpc, qui correspond à un âge caractéristique tcar d'environ 13 milliards d'années (1).
Comme nous l'avons dit, l'expansion de l'espace, et donc aussi la
fuite réciproque des galaxies, n'est pas limitée par la
vitesse de la lumière. Il en va autrement des mouvements relatifs
de galaxies voisines en interactions gravifiques. Ces interactions sont
contrôlées par les lois de la mécanique et de la
gravité et sont soumises aux restrictions de la relativité.
Elles ne peuvent donc pas engendrer de vitesses dépassant celle
de la lumière. A titre d'exemple on peut mentionner que sous
l'influence de leur attraction gravitationnelle réciproque, la
Voie Lactée et sa grande et proche voisine, la galaxie d'Andromède
(M31), se rapprochent à l'énorme vitesse de 300 km/s.
A la grande surprise de tous les cosmologistes, deux équipes
internationales ont récemment observé, et de façon
apparemment décisive, non seulement que la densité moyenne
de
l'Univers est effectivement inférieure d'un facteur de 3 à
4 à la densité critique
c
, et donc que l'Univers est bien promis à une expansion perpétuelle,
mais surtout, comme nous l'avons dit plus haut, que cette vitesse d'expansion
s'accélère. Dans le cadre des équations régissant
la cosmologie cela ne peut s'expliquer que par une constante cosmologique
positive, plus grande encore que celle qu'avaient déjà
postulé Newton et Einstein pour assurer un Univers qu'ils ne
pouvaient concevoir que statique. Par l'Eq. (6) on voit immédiatement
que selon son signe, une telle constante joue le rôle d'une force
attractive ou répulsive. La raison de l'émoi des cosmologistes
est d'expliquer l'origine d'une telle force. Tout indique que cette
force provient de causes semblables à celles qui ont donné
naissance au "Big Bang". Le "Big Bang" a crée
de l'énergie/matière (souvenons-nous de E = mc2
!) d'une façon explosive et on peut aisément démontrer
que pour produire une expansion accélérée il faut
une création continuelle de matière dans tout l'espace
cosmique.
Il vaut tout de même la peine d'insister sur le fait que l'expansion accélérée ne pourrait pas être la conséquence de conditions initiales particulières à la suite du "Big Bang", comme p. ex. une très grande énergie cinétique initiale. Une telle énergie initiale ne pourrait pas s'opposer au freinage gravitationnel et encore moins engendrer une accélération. En vérité, aucun mécanisme classique ne peut conduire à l'accélération observée. Ce qu'il faut pour cela, est cette "création" continuelle d'énergie dans tout l'espace cosmique, énergie qui se transforme ensuite en matière. Tout comme pour le "Big Bang", ce processus fait intervenir les fluctuations du vide , et en définitive il n'est peut-être qu'une incandescence résiduelle du "Big Bang" initial.
On pourrait d'abord penser que cette façon de comprendre l'accélération de l'expansion redonnera vie aux concepts d'Univers à l'état stationnaire. De tels Univers, proposés par Bondi et Gold et par Hoyle en 1948, ont justement besoin d'une création perpétuelle d'énergie dans tout l'espace cosmique afin d'entretenir la fuite apparente des galaxies. Mais il est hors de doute que l'accélération de l'expansion, même si elle est interprétée dans une théorie rigoureusement relativiste, ne permet pas des Univers stationnaires. Le nôtre a certainement connu un début singulier, mais n'aura probablement pas une fin abrupte. La densité de matière et la température, vont probablement toujours diminuer et l'Univers deviendra finalement totalement inhospitalier à toute forme de vie.
Notre propos n'est pas de poursuivre ce sujet, mais plutôt de parler brièvement des observations qui semblent démontrer que notre Univers est effectivement en expansion accélérée. Une discussion détaillée de ce sujet vient de paraître en allemand sous la plume de Bernhard Parodi dans ORION (no. 298, p. 4-10). Ces observations sont basées sur une étude soignée du comportement de supernovas de type Ia, situées dans des galaxies très éloignées, c.à-d. des galaxies dotées d'un grand "redshift", ou grand décalage spectral vers le rouge par effet Doppler. Les supernovas de type Ia se produisent dans des étoiles doubles, dont un des partenaires est une naine blanche (vieille étoile ayant à peu près les dimensions de la Terre et environ une masse solaire, ce qui fait une énorme densité de plus d'une tonne par cm3 !). Le compagnon de la naine est une étoile plus jeune, une grande boule de gaz. Par gravité la naine blanche aspire sur elle du gaz de son compagnon et s´enveloppe ainsi d'une atmosphère qui devient toujours plus dense et chaude.
Lorsque cette atmosphère atteint des densité et température critiques, elle explose comme une bombe à fusion; c'est le phénomène de la supernova de type Ia. Toutes les supernovae de ce type brûlent de façon similaire : leurs courbes de luminosité passent rapidement par un maximum pour ensuite décroître, restant observables une ou deux centaines de jours. Plus l'intensité maximale a été forte, plus la luminosité décroîtra lentement. On connaît maintenant si bien les supernovae de type Ia, qu'elles sont devenues des sortes de bougies standards dans le ciel. De la forme temporelle des courbes de luminosité on peut estimer leurs distances, et donc l'éloignement des galaxies dans lesquelles elles se trouvent. Mais l'étude du redshift des spectres de lumière renseigne aussi exactement sur la vitesse de fuite des galaxies où ces supernovas sont situées. Ce que les astronomes ont trouvé, est que ces supernovas sont apparemment 10 à 15 % plus éloignées que ce qu'on déduirait de leur vitesse de fuite. La Fig. 2 permet de situer ces résultats révolutionnaires dans le cadres des solutions permises par la cosmologie relativiste et paraissent effectivement confirmer une expansion accélérée de notre Univers.
Cette Fig. 2 est un plan des solutions permises par la cosmologie
relativiste. L'abscisse et l'ordonnée du graphe correspondent
respectivement à la densité de masse de l'Univers et à
la contante cosmologique; mais ces deux paramètres sont normés
: m
est la densité de masse moyenne de l'Univers divisée par
la densité critique
c
, alors que
est
la constante cosmologique d'Einstein multipliée par
, où tcar est tiré de la constante de
Hubble selon l'Eq. (8). On peut dire que ces normalisations s'imposent
au vu de la structure des équations cosmologiques. Dans le plan
du graphe on note la limite entre Univers ouverts et fermés (la
frontière elle-même étant celle des Univers plats),
la limite entre Univers en expansion continue et Univers qui finissent
par s'effondrer (la frontière correspondant aux Univers pour
lesquels la vitesse d'expansion tend vers zéro lorsque le temps
s'approche de l'infini) et la limite entre Univers accélérés
et Univers décélérés (avec pour frontière
les Univers statiques). L'ensembles des données acquises récemment
suggèrent que notre Univers est plat, que sa densité de
matière est de 3 à 4 fois inférieure à la
densité critique, que la constante cosmologique normée
vaut environ 0,7 à 0,75 , et que la vitesse d'expansion est bien
accélérée. Il vaut aussi la peine de noter que
si notre Univers paraît maintenant être parfaitement plat,
cette propriété pourrait bien ne pas correspondre à
la réalité. Il est en effet probable que dans les premiers
instants après le "Big Bang" l'Univers était
fermé. Avec l'énorme expansion subséquente il s'est
progressivement approché d'une configuration plate (ou parabolique)
et qu'il est maintenant impossible de mettre en évidence la très
faible courbure résiduelle.
Fig. 2. Plan
des solutions possibles en cosmologie relativiste. Abscisse
et ordonnée de ce graphe correspondent respectivement
à la densité de masse de l'Univers et à
la contante cosmologique, toutes deux normées comme indiqué
dans le texte. Dans le plan de ce graphe on reconnaît
la droite correspondant aux Univers plats, entre Univers ouverts
et fermés, la limite entre Univers en expansion continue
et Univers qui finissent par s'effondrer et la limite entre
Univers accélérés et décélérés.
L'ensembles des données acquises récemment suggèrent
un Univers plat, de faible densité de matière
|
Quelques remarques concernant la Fig. 2 s'imposent encore. D'abord
on note que densité de masse et constante cosmologique sont deux
paramètres qui sont effectivement indépendants, leurs
dimensions respectives étant des kg/m3 et des m-2
; les paramètre normés m
et
sont
donc sans dimensions. Dans un premier temps on pourrait être surpris
de constater que l'on a choisi de normer la constante cosmologique
par une fonction qui dépend du temps. En réalité,
dans un Univers en évolution, comme le nôtre,
n'est certainement pas une constante. Une chose est sûre,
est toujours < 1 , même s'il croîtra un peu. D'autre
part, une étude approfondie de
permet de montrer que ce paramètre dépend lui aussi du
temps. Plutôt qu'augmenter, il va cependant diminuer. Si le diagramme
de la Fig. 2 est valable pour tous les temps futurs, la position du
point marqué "Notre Univers actuel" ne se rapporte
qu'au présent. Il concerne notre Univers dans son état
actuel, tel que nous le percevons par les observations que nous faisons
aujourd'hui. A mesure que le temps s'écoule, ce point se déplacera
sur la droite
+
m = 1 des
Univers plats en direction de l'ordonnée. Comme nous venons de
le dire,
sera
toujours inférieur à l'unité et
m
supérieur à zéro. Mais en nous rapprochant
de l'ordonnée tout en restant sur la droite des Univers plats,
la courbure résiduelle de l'Univers nous échappera à
jamais.
Nous avons vu que des Univers qui seraient ouverts ou parfaitement plats (k = -1 ou 0) s'étendraient à l'infini dans toutes les directions. Pour les créer il faudrait que le "Big Bang" ait mis en oeuvre une énergie illimitée; cela est irréaliste. D'autre part, il serait difficile de concevoir que de tels Univers sans limites puissent s'effondrer. C'est la raison pour laquelle on est convaincu que notre Univers est effectivement fermé (k = +1) , même si aujourd'hui nous ne pouvons plus mettre sa courbure en évidence.
Dans le domaine des Univers ouverts, on ne peut avoir que des Univers
en expansion perpétuelle. Pour les Univers fermés un effondrement
est possible dès que m
>= 1 . Mais nous savons qu'une constante cosmologique positive équivaut
à une force répulsive, opposée à la gravité.
Dès lors, si
m
> 1 un effondrement est encore possible avec une petite constante
cosmologique positive, c.-à-d.
>
0 . Si
m dépasse
de beaucoup l'unité,
pourra
croître aussi. Cela explique la transition entre Univers en expansion
continue et Univers qui aboutissent à un effondrement final dans
la Fig. 2.
Appendice mathématique
Les équations de la cosmologie relativiste d'Einstein ont la forme suivante :
![]() |
(A.1)
|
![]() |
(A.2)
|
où pr est la pression de radiation alors
que k joue le rôle d'un signe qui prend les valeurs +1,
0, ou -1, suivant que l'Univers est elliptique, parabolique,
ou hyperbolique (fermé, plat et ouvert).
Les autres paramètres ont été définis dans
le texte. Nous savons que
et
est simplement la deuxième
dérivée de R(t). L'Univers est maintenant
dans une phase où la pression de radiation est négligeable;
en général nous poserons donc pr = 0
.
L'énergie totale (cinétique et potentielle) d'une galaxie
en interaction avec son entourage dépend de la densité
de masse moyenne de l'Univers. Si on demande que cette énergie
totale soit juste suffisante pour permettre à la galaxie de s'échapper
à l'infini, où sa vitesse devra converger vers zéro,
la densité requise sera la densité critique
c
, pour laquelle on trouve
![]() |
(A.3)
|
Un calcul classique de l'expansion, freinée par la gravité, fournit une expression de la forme
![]() |
(A.4)
|
où l'exposant prend la valeur bien définie de n
= 2/3 . Comme on doit s'y attendre, cela correspond à une décélération.
Mais nous savons qu'on observe, aujourd'hui, une expansion accélérée;
d'autres forces que le freinage gravifique sont donc en cause. Cette
décélération ou accélération est
caractérisée par un paramètre qu'on obtient par
dérivation de :
![]() |
(A.5)
|
Le premier terme à droite de (A.5) décrit l'augmentation de la vitesse de récession à constante de Hubble H donnée, lorsque R augmente. Si H était une constante indépendante du temps, le second terme s'annulerait et le premier représenterait alors une expansion exponentielle accélérée. Le deuxième terme décrit les changements de la vitesse de récession causés par les variations temporelles de H. Sachant que H = 1/tcarr dépend du temps, on transforme (A.5) :
![]() |
(A.6)
|
où
![]() ![]() |
(A.7)
|
Par tradition on appelle q paramètre de décélération.
Si q > 0 on a
et la vitesse d'expansion décroît avec t, tandis
que si q < 0 cette expansion est accélérée.
Avec la loi d'expansion classique représentée par l'Eq. (A.4) où n = 2/3 on obtient :
q = 0.5 > 0 ,
|
(A.8)
|
et donc bien une décélération . Avec un exposant n arbitraire l'Eq. (A.4) nous mène vers une relation très générale entre cet exposant et le paramètre de décélération q :
![]() ![]() |
(A.9)
|
par laquelle on voit bien qu'une expansion décélérée correspond à n < 1 et q > 0 , une expansion accélérée à q < 0 et n > 1 et une expansion à vitesse constante à n = 1 et q = 0 .
En additionnant les Eq. (A.1) et (A.2) et en posant pr = 0 nous obtenons les conditions nécessaires pour que l'expansion de l'Univers soit accélérée :
![]() |
(A.10)
|
Il faut donc
![]() |
(A.11)
|
pour une expansion accélérée. En divisant tous
les termes de (A.10) par
on obtient
![]() |
(A.12)
|
On utilise maintenant (A.3) et on norme la constante cosmologique
comme dans le texte, soit en la multipliant par
. Le paramètre de décélération devient alors
![]() |
(A.13)
|
Il vaut la peine de souligner que ce résultat ne dépend pas de la courbure de l'Univers. Puisque la valeur q = 0 concerne les Univers statiques, la droite
![]() |
(A.14)
|
est la frontière entre Univers accélérés (dessus) et décélérés (dessous), dans la Fig. 2.
De (A.2), on tire encore :
![]() |
(A.15)
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Avec les mêmes substitutions que pour (A.13) cette équation nous donne pour les Univers plats (k = 0) , c.-à-d. pour la frontière entre Univers ouverts (k = - 1) et fermés (k = + 1) , la droite
![]() |
(A.16)
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Cette droite est aussi dessinée sur la Fig. 2.
Si on accepte les valeurs suggérées par la Fig. 2, soit
m
0,3 et
0,7
on trouve
q
![]() ![]() |
(A.17)
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Le signe de q et un exposant n > 1 sont bien en accord
les observations d'un Univers en expansion accélérée,
mais la grandeur de n nous surprend. Il ne serait pas surprenant
que les paramètres m
et
que nous avons utilisés subissent des révision ces prochaines
années.
Note:
(1) La relation entre H en km/sMpc et tcar en millions d'années-lumière est tcar=978H.